"C'est l'exposition la plus complexe et, avec 40 installations sur 1 500 mètres carrés, la plus vaste jamais montée chez nous. La première fois, aussi, qu'on utilise autant de multimédia, 30 projecteurs, le double d'enceintes musicales", sans compter les innombrables écrans, affirme Pamela Golbin, la conservatrice des collections du musée.
Deux mois de montage ont été nécessaires pour mettre en place la "carte blanche" donnée à Chalayan. Le styliste, qui confie au Monde avoir fait appel aux techniciens du film Harry Potter, recourt à toutes les techniques : hologrammes, images en 3D, effets spéciaux, laser, LED, robotique. Ses vêtements sont articulés, clignotants, lumineux, autotransformables, équipés de télécommande.
Le Chypriote turc de 41 ans, né à Nicosie et qui vit à Londres depuis plus de vingt ans, figure avant-gardiste de la mode britannique, "s'est investi à 100 %", précise la commissaire, jusqu'à sculpter un même visage pour les mannequins qui portent ses vêtements : faciès méditerranéen de femme au caractère bien trempé, taillée pour affronter le pire.
Ses "récits" allégoriques parlent d'exil, de guerre, de mort, de destin... Chalayan dit traiter la mode comme "une science du monde". La couture est son langage, sa manière à lui de situer l'homme dans le temps et dans l'espace. De le montrer dans l'instabilité d'un monde en mouvement qui le déracine.
En gros caractères noirs, sont affichées les questions qui l'obsèdent : "Transcendance, vitesse et mouvement, métamorphose, points aveugles, désincarnation, anthropologie nouvelle, migration." Ses collections s'appellent Airborne, Panoramics, Geotropics, Afterwords, Ambimorphous, Anthropology of Solitude...
La veille de l'inauguration, il règle encore les détails. Planté devant la jeune femme à la balançoire de la collection Temporal Meditations (2004), il ajuste la verticalité du corps, moulé dans un court drapé imprimé. Debout, en équilibre sur la planche qui sert de siège, le mannequin avale un expresso, pressé de lire le marc de café qui dit l'avenir. En toile de fond, la côte chypriote des années 1950, une des périodes les plus violentes de l'histoire de son île natale qui mène à la partition entre Turcs et Grecs. La table ronde de bois d'Afterwords (2000) devint une jupe à cerceaux. Elle illustre l'urgence du départ pour les populations déplacées comme l'errance sans fin.
La robe métallisée, One Hundred and Eleven (2007), déploie à l'envi les rubans de sa corolle ; la capeline assortie se rétracte en bonnet. Dissimulé sous l'étoffe, le mécanisme façon Terminator s'affiche sur un écran. De près, chaque pièce révèle la perfection du dessin, de la coupe et du fini. Chalayan va à l'essentiel.
En 1998 déjà, Chalayan explore la notion d'identité, la mondialisation, le totalitarisme revivifié, le sectarisme religieux poussé jusqu'à la dépersonnalisation totale de l'individu. Ses burqas ouvrent l'exposition. Camisole noire ne découvrant que les yeux ; fourreaux rouge sang barrant trois corps dont les visages sont encastrés dans un mur blanc ; oeuf de bois poli en guise de casque intégral à peine fendu pour le regard ; face prisonnière d'un miroir. D'entrée, le ton est donné.
Cette liberté et cet engagement, il les doit à son indépendance : "C'est bien, mais c'est dur", avoue-t-il. Etre directeur artistique de la marque Puma lui permet de financer, de présenter et de commercialiser ses propres collections. Il n'a pas de boutique à son nom, reste peu connu du grand public.
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